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Nul ne peut accepter le statu quo pour l’école et l’université car les défis d’avenir sont cruciaux. Les nécessaires révolutions industrielles, numériques ou agricoles dans le cadre de la crise écologique, appellent un nouveau mode de développement et une élévation du niveau d’éducation et de formation de la totalité de la population. Nous en sommes loin. S’appuyant en partie sur ces enjeux, le gouvernement impulse une nouvelle contre-réforme pour enserrer notre pays dans la mondialisation capitaliste, loin de l’intérêt général. Elle se pare du vernis d’un retour de l’Etat, réduit et confondu avec la seule autorité, pour masquer un désengagement sans précédent de ses missions et de son rôle dans l’instruction des futurs citoyens.
La multiplication des annonces du ministre de l’Éducation Nationale concernant l’enseignement primaire transpire bien plus « l’ancien monde » que le « nouveau » dont se gargarise le pouvoir. Certes, le dédoublement de classes de CP est un bon choix et on peut admettre que les mesures d’interdiction des téléphones portables, le retour de la dictée ou la possibilité laissée à l’établissement d’un retour de l’uniforme puissent faire l’objet de débats. Mais on a du mal à saisir où se trouve le « nouveau monde » dans ce retour à l’ordre ancien érigé comme modèle. Le dépeçage de la réforme des rythmes scolaires n’a pas non plus le goût de l’avenir.
Ce qui est envisagé pour l’enseignement supérieur donne quelques indices. Le « nouveau monde » serait celui d’une mise en concurrence féroce des universités et des étudiants pour contourner le passionnant défi de la démocratisation de l’enseignement supérieur. A rebours de la grande tradition des Lumières et d’un Condorcet pour lequel “l’inégalité d’instruction est une des principales sources de la tyrannie”, c’est par une politique inégalitaire que le pouvoir entend former les futures générations.
Présenté comme l’alternative à l’abjecte « tirage au sort », le système « Parcoursup » pour orienter les futurs étudiants après le baccalauréat, s’annonce comme un des dispositifs majeurs de la politique de tri social dans l’enseignement supérieur. Celle-ci ne peut être saisie dans son ampleur qu’avec la réforme prévue du Baccalauréat qui, sous couvert de « liberté » laissée aux lycéens de choisir leur parcours dès la seconde, entérinerait les déterminismes sociaux les plus brutaux.
En demandant aux élèves de répondre à des « prérequis » ou des « attendus », les établissements du supérieur pourront eux même trier les futurs étudiants, sans grande chance pour les élèves des filières professionnelles et technologiques du secondaire qui disposent de compétences « attendues » moindres que leurs camarades des filières générales. Les enfants d’ouvriers et des salariés les plus exploités devront redoubler d’efforts pour s’ouvrir les portes de l’enseignement supérieur.
S’il fallait à coup sûr tourner la page du système d’admission post-bac (APB) qui laissait sur le carreau des dizaines de milliers d’élèves chaque année, comment accepter ce projet inégalitaire et sélectif d’assignation sociale? Au delà, avec huit millions de vœux à traiter pour 640 000 places disponibles, la bureaucratisation inédite des admissions post-bac va considérablement alourdir les missions des agents publics.
Face à l’arrivée massive et heureuse de nouveaux étudiants dans l’enseignement supérieur, le gouvernement fait le choix du tri social au lieu d’une politique égalitaire de formation et d’orientation qui puisse répondre aux besoins de l’ensemble de la société. Il répond à la pénurie de places dans les universités par des recettes foncièrement libérales qui prennent acte des précédentes contre-réformes, notamment celles instituées sous l’ère Sarkozy qui visaient à mettre en concurrence les universités comme s’il s’agissait de simples entreprises.
Ainsi, dans l’article 154 de la Loi de Finance, un amendement passé inaperçu prévoit que les universités « peuvent, pour contribuer à la gestion et à la valorisation de leur patrimoine immobilier, créer des services d’activités industrielles et commerciales (…) ou (…) prendre des participations, participer à des groupements et créer des filiales ». « Cela permettra également aux établissements, souligne l’exposé de l’amendement, de s’organiser pour tirer un revenu d’un bien dit « de rapport », comme le font certaines universités anglo-saxonnes, directement ou via leurs filiales ou fondations, sans lien direct avec la formation et la recherche, afin de dégager des revenus récurrents et additionnels pour le financement du patrimoine mis à leur disposition ».
L’objectif affiché est de permettre aux universités de réaliser des opérations spéculatives sur leur patrimoine immobilier pour financer leurs missions de service public. Elles pourront par exemple louer des baux commerciaux à de grands groupes dans un contexte de désengagement financier de l’Etat et de mise en concurrence des établissements à laquelle concourt la sélection.
S’il y a bien une cohérence, c’est celle du libéralisme le plus effréné qui, du tri social à la mise en concurrence des établissements en passant par la transformation des universités en agents économiques, rompt avec la conception universelle et émancipatrice de l’instruction publique.