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L’avantage des commémorations est souvent de faire revivre de grands personnages, leurs actions, leurs idées. C’était tout particulièrement l’occasion la semaine dernière avec le centenaire de l’assassinat de Jean Jaurès. Deux balles tirées par un militant d’extrême droite endoctriné par la propagande nationaliste, à travers le rideau du café du croissant où il dinait avec ses collaborateurs, lui ôtaient la vie, quelques heures avant le déclenchement de la première guerre mondiale. Avec lui, les derniers espoirs de paix s’évanouissaient, laissant place aux chefs de guerre qui s’empressèrent d’envoyer toute une génération, toute une jeunesse, se faire massacrer dans les champs de Lorraine et de Champagne au nom d’intérêts impérialistes.
Jaurès aura œuvré jusqu’à sa dernière heure pour éviter le terrible carnage dont il pressentait le caractère destructeur, multipliant les déplacements, les interventions, les rencontres avec le gouvernement de l’époque. Il en appelait à l’union des travailleurs européens dont il espérait tant et qu’il refusait de voir s’abîmer sur les champs de bataille.
Son message et son action pour la paix restent d’une brûlante actualité à l’heure où, un peu partout dans le monde, la guerre et les lourdes menaces de guerre font rage : en Ukraine, en Libye, en Syrie, en Irak, à Gaza où tout un peuple survit sous le déluge de fer et de feu d’une armée d’occupation. Partout ailleurs la guerre économique, prélude aux conflits armés comme le rappelait sans cesse Jean Jaurès, redouble d’intensité sous les coups de boutoir d’un capitalisme financiarisé, agressif et autoritaire.
La voix de la raison semble, depuis quelques années, avoir quitté les chancelleries qui privilégient désormais le recours aux armes au prix de sacrifices immenses pour les populations civiles, mais surtout au prix d’un pari hasardeux et dangereux sur l’Histoire. Jaurès avait pourtant prévenu : « Donner la liberté au monde par la force est une étrange entreprise pleine de chances mauvaises. En la donnant, on la retire ».
Jaurès était un homme complet, aux multiples talents et aux multiples activités, dont la pensée était d’une grande cohérence. Ainsi, son combat pour la paix, devenu central au fur et à mesure que le drame s’annonçait, est indissociable de nombreux autres : ceux pour la laïcité, les retraites, les droits sociaux et démocratiques, l’unification du mouvement socialiste, l’amélioration des conditions de vie des travailleurs mais aussi ceux, qui l’accompagneront tout au long de sa vie, pour la défense du monde agricole et pour une agriculture de qualité.
Lui-même issu d’une famille paysanne et rurale du Tarn, Jaurès connaissait parfaitement le travail paysan. Jusqu’à ses quinze ans, il grandit au milieu des cultivateurs, vignerons et éleveurs du Languedoc et c’est à leur contact qu’il s’ouvre aux idéaux républicains. Jaurès avait pour ce « peuple de la terre » une grande estime car il connaissait le rude travail paysan qui réclame patience et savoir-faire. Il est sans cesse resté au contact de la ruralité pour concilier les combats émancipateurs du monde ouvrier naissant, celui des mines et des usines, et ceux du monde agricole, alors largement majoritaire, enraciné dans l’histoire de France et réputé conservateur.
Il avait à cœur de dégager des perspectives de modernisation passant par la solidarité en développant le crédit et la coopération. Il intervient en 1897, contre la spéculation et les variations de prix, proposant que l’Etat joue un rôle stratège pour garantir un revenu aux travailleurs agricoles et pour assurer le développement des petites exploitations. Il souhaite obtenir des protections pour les agriculteurs qui soient acceptables par l’ensemble de la société et notamment par le monde ouvrier qui craignait une flambée des prix alimentaires.
Et s’il défend une réforme agraire et développe l’idée coopérative, il est également l’initiateur inspiré d’un Crédit agricole mutuel. « Il y a, écrit-il un intérêt de premier ordre, national aussi bien que républicain, à élever la condition des paysans. Il faut les mettre dans de telles conditions d’indépendance qu’ils deviennent le fondement inébranlable d’un régime de liberté».
Il a également perçu avec une étonnante clairvoyance les enjeux de la mondialisation. Ainsi écrit-il, « C’est peut-être de la quantité de blé ensemencée par un fermier de l’Ouest américain que dépendra demain, sur le marché de la ville voisine, le prix de son blé, le prix de son travail, sa liberté peut-être et sa propriété ». Comment ne pas penser à l’inacceptable projet de Traité transatlantique, dont l’un des objectifs est de dégager la circulation des marchandises alimentaires entre l’Europe et les Etats-Unis de toutes les protections douanières, sanitaires environnementales, gagnées de haute lutte. Ce constat poussera Jaurès à réclamer le contrôle et la valorisation des productions locales. Ce que nous appellerions aujourd’hui la « relocalisation des productions ».
En 1907, il prend fait et cause pour les vignerons du Languedoc dont la révolte est sévèrement matée par Clémenceau et, en 1910, il obtient le vote d’une loi sur les retraites paysannes qu’il considère imparfaite mais qui marquera une étape décisive pour l’amélioration et l’élargissement de ce droit nouveau.
Les combats de Jaurès s’inscrivent dans le constat global des injustices créées par la société et le mode de production capitaliste et sont, par-là, inséparables les uns des autres. Ainsi sa lutte pour la défense du monde paysan et rural est pour lui, un combat qui concerne l’ensemble de la société. C’est encore le cas aujourd’hui. Puisse ceux qui s’en réclament s’inspirer réellement de lui en impulsant une transformation sociale et démocratique de la société et du monde.
1 commentaire
Aprés m’etre fait Massacré en 15 ans par les credit mutuel et agricole du grand nord (Nord- Europe et Brie-Picardie ),Paysan de mon etat ,EX-confédéré par necessité ,européen par choix …j’essaie de mettre en place(pour mes 4 enfants et les générations futures, a l’echelle de ma petite ferme bio de la Somme une mini reforme agraire qui prendrait la forme d’un No man’s Land participatif sur le champ de bataille de la Somme …le centenaire de la mort de Jaurés etant plus porteur pour notre projet que celui de “la Grande Guerre” ….peut etre que La TERRE et l’HUMA pourrait m’aider a le lancer ….Je pense que Jaurés n’en serait pas peu fier !