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Ce samedi 12 décembre une cérémonie a été organisée à l’occasion de l’anniversaire de l’assassinat de Lucien Sampaix à la mairie du 10e arrondissement de Paris, réunissant des membres de sa famille, le maire d’arrondissement Rémi Féraud et des élu(e)s de Paris.
C’est avec un grand honneur que j’ai rendu hommage à cet homme, pétri de courage, de combativité et de droiture, cet ouvrier devenu dirigeant de L’Humanité, fusillé par l’occupant nazi à Caen le 15 décembre 1941.
Voici le texte intégral de mon intervention
Je me réjouis que nous puissions nous retrouver ici, ensemble ce matin, pour rendre hommage à Lucien Sampaix, ouvrier communiste, journaliste puis dirigeant de l’Humanité, traîné dans les tribunaux de cette affreuse section spéciale. Fusillé par les nazis à Caen, le 15 décembre 1941.
Le nom de Lucien Sampaix est familier à beaucoup d’entre nous. Il nomme un certain nombre de rues de notre pays et nous nous en réjouissons. Mais, il est peu connu, trop peu connu. Qui découvre ou connaît la vie de Lucien Sampaix mesure toute l’épaisseur d’un homme pétri de courage, de combativité et de droiture.
Cet ouvrier né dans les Ardennes, était en effet de ces hommes qui rayonnaient autour d’eux. Non pas parce qu’il cherchait à se mettre en valeur, il était la modestie incarnée, mais parce que la moindre de ses actions était guidée par le souci des autres, le rejet des injustices. Et cette attitude finissait par le faire remarquer, admirer même, y compris chez certains de ses adversaires.
Durant plus d’une dizaine d’années, Lucien Sampaix s’était imposé comme un défenseur des ouvriers et des petites gens de toute la région des Ardennes dont il connait la rude vie pour l’avoir partagée très jeune, dès l’âge de 12 ans, à peine sorti de l’école.
Il leur apporte son sens de l’organisation, son énergie, et surtout sa conviction que la dignité humaine est tout ce qu’il y a de plus précieux pour chaque homme et chaque femme.
Toute sa vie l’a montré, il ne séparait jamais son sort de celui de ses semblables. Il ne faut pas oublier Lucien Sampaix. Il faut parler de sa vie, exemplaire à bien des égards. De tous ses combats. De ce qu’il a du endurer avec courage, sans jamais trahir et de ce qu’il a semé aussi.
Et ses combats, dans la deuxième partie de sa trop courte vie se sont confondus avec ceux du journal fondé par Jean Jaurès.
Il entre à l’Humanité en 1932. Il vient de passer 9 mois en prison pour avoir défendu des marins poursuivis en justice, lesquels seront d’ailleurs finalement acquittés. Journaliste, il l’était déjà. Il avait fondé « l’Exploité de Reims », hebdomadaire régional du jeune Parti communiste. Il en était le directeur, le rédacteur et le principal vendeur « à la criée ».
Déjà, il ne comptait pas ses heures.
Lui qui était le cinquième des 7 enfants d’un ouvrier tisseur, il étonnait déjà son maître d’école par sa soif d’apprendre, sa curiosité intellectuelle, ses bons résultats scolaires.
Et, toute sa vie a témoigné de cette volonté de se dépasser par son travail acharné, ses hautes qualités morales, sa volonté de fer. Quelques mois avant sa mort, en prison, il lisait les classiques. S’élever, oui.
Mais non pas contre les autres. Avec eux.
En cela, son attitude, ses comportements correspondaient exactement au sens profond du nom du journal de Jean Jaurès, devenu le sien : l’Humanité.
Et c’est ce journal l’Humanité, précisément, que Lucien Sampaix rejoint naturellement à sa sortie de prison en 1932 qui fut le cadre lui permettant de déployer toute la mesure de son talent et de son action.
Lucien fait d’abord l’apprentissage d’un grand quotidien. Il passe quelque temps à la rubrique des informations générales où il partage son bureau avec un certain « Louis Aragon », qui est lui, chargé des faits divers. Non loin de là travaille Gabriel Péri à la politique étrangère. Gabriel Péri, brillant intellectuel, Lucien Sampaix, ouvrier métallurgiste deviendront amis. Dans quel autre journal que « l’Humanité » leur destin aurait-il pu ainsi se croiser ? Un destin qui devait les sceller jusque dans la mort, tous deux tombés sous les balles nazies le même jour de décembre 1941.
Lucien Sampaix devient très vite journaliste, chargé de suivre les débats du Parlement. Il ne ménage pas sa peine.
Et Marcel Cachin, l’illustre directeur de l’Humanité, remarque sa capacité de travail, ses qualités d’écriture, son intelligence politique.
Il le nomme secrétaire général du journal. C’est une activité épuisante. Lucien finit rarement avant deux heures du matin.
Mais l’ambiance à l’Humanité est enthousiasmante. Le journal est alors installé au 38 rue Montmartre dans le vieux et bruyant quartier des imprimeries.
Il n’est pas rare de voir le soir Paul Vaillant-Couturier, rédacteur en chef, Gabriel Péri et Lucien Sampaix prendre leur repas ensemble dans un petit restaurant de Notre Dame des Victoires.
Pierre Camus qui fut rédacteur à l’Humanité rapporte ce témoignage : « C’était un véritable régal de les voir ensemble. Vaillant était un feu d’artifice pétillant d’esprit. Péri jouait les pince-sans-rire. Sampaix, lui, donnait la réplique avec cette sorte d’espièglerie qui le rendait si attachant. »
Le nom de Lucien Sampaix est resté lié à la grande campagne qu’il mena à partir de 1938 contre les agents et les complices des hitlériens sur le sol français.
Cette campagne allait parachever un grand nombre d’articles qu’il avait écrit auparavant dans les colonnes de l’Humanité contre le danger fasciste. Danger dont il fut un des plus ardents à en dénoncer la gravité. On raconte ainsi que le soir du 6 février 1934, il entre blanc comme un linge dans le bureau de la rubrique internationale de l’Humanité. « …Je viens de la place de la Concorde, maintenant j’ai vu ce que c’est le fascisme. » dit-il.
Il venait de voir la bestialité déchainée, la fureur de destruction des éléments influencés par les ligues fascistes. L’Histoire va s’accélérer. La riposte ouvrière du 9 février 1934, la constitution du Front Populaire, ses conquêtes qu’il va vivre intensément. Mais, Sampaix ne relâche pas son action contre les ligues fascistes qui ne cessent de préparer leur revanche après leur échec de 1934, en accumulant les moyens les plus meurtriers.
Inlassablement, il dénonce leur manigance, le complot ourdi contre la République avec une fermeté et un talent qui sensibilisera l’opinion démocratique.
Il démontre l’étendue du complot des ligues, la liaison étroite des fascistes « français » avec la gestapo, les complicités nouées avec la presse des trusts, avec certains officiers supérieurs, la haute administration et jusque dans les cabinets ministériels.
Il dénonce les agissements de l’ambassadeur nazi Otto Abetz. Ces campagnes eurent un grand retentissement en France et contribuèrent largement à dénoncer le danger fasciste pour la paix, la République et le progrès social.
Dans la lignée de Jean Jaurès, Lucien Sampaix fit honneur à l’Humanité. Honneur à la France.
D’autant que ses révélations font mouche et inquiètent le gouvernement Daladier, qui décide, en janvier 1939, de faire cesser la campagne de vérité menée par l’Humanité.
Un prétexte est trouvé : « Divulgation de renseignements relatifs à une enquête en cours.»
Ces mêmes renseignements furent publiés par d’autres journaux sans que ceux-ci soient inquiétés.
Mais c’est Sampaix qu’on veut atteindre en le poursuivant en justice.
L’émotion est considérable. De nombreuses lettres arrivent au journal en soutien à Lucien. Des délégations, des listes de pétition affluent, composées et signées par des personnes de toute opinion philosophique et politique.
A travers Lucien Sampaix, c’est la République qui est bafouée, la liberté de la presse foulée aux pieds. Ces attaques indignes préfigureront les heures noires qui surviendront très vite après le procès.
Celui-ci a lieu le 28 juillet 1939 devant la 12ème chambre correctionnelle de la Seine. Témoigneront à la barre Louis Aragon, Marcel Cachin, Gabriel Péri mais aussi d’autres personnalités comme Gabriel Cudenet, journaliste et figure du parti radical socialiste, Lucien Bossoutrot, célèbre aviateur, député radical qui déclare connaître Lucien Sampaix comme adversaire politique, « un adversaire ardent, mais, toujours extrêmement loyal. ». Gabriel Péri, affirme avec force sa solidarité et celle de son journal avec Sampaix : « Qu’il soit bien entendu que la campagne de Lucien Sampaix est la campagne collective de l’Humanité » déclare-t-il au procès. Le mouvement d’opinion est tel que l’accusation est mise en échec et Lucien acquitté. C’est une victoire politique. Mais elle est de courte durée.
Le 26 août, à la suite du pacte germano-soviétique, l’Humanité est décrétée d’interdiction. Le 1er septembre, Hitler attaque la Pologne et deux jours plus tard, la guerre est déclarée. Le 26 septembre, le gouvernement de Daladier décide la dissolution du Parti communiste.
Une période de répression s’abat sur les militants et élus communistes, les militants, les élus. Plus de 6000 d’entre eux seront pourchassés, conduits dans des camps. Les traitres à la patrie qu’avaient dénoncés Sampaix sortent du bois et commencent leur sale besogne. Sampaix lui-même est arrêté, pris dans une rafle au mois de décembre 1939, alors qu’il travaillait à la reparution clandestine de l’Humanité.
Sous son impulsion, seize numéros de l’Humanité paraîtront, petites feuilles fabriquées avec des moyens de fortune, qui seront accueillies avec ferveur et émotion par les lecteurs.
On connaît la suite. Tragique ! Sampaix s’évade, puis est arrêté une nouvelle fois à Paris. Jugé par la « Section Spéciale » qui sera découverte bien des années plus tard avec stupeur et indignation par des millions de téléspectateurs des dossiers de l’écran. On connaissait mal en effet cette section, composée de juges français aux ordres de la gestapo, qui s’appuie sur des lois scélérates, comme le décret Serol du 5 avril 1940, qui avant même la capitulation devant Hitler, visaient les communistes en permettant de les condamner à la peine de mort.
Cette fois encore, ils ne parviendront pas à abattre Sampaix. Ses juges « n’oseront pas la peine capitale » reculant, comme impressionnés par le sang froid, le courage et la personnalité de Lucien Sampaix. Il faudra les nazis, 6 mois plus tard pour le faire tomber dans la prison de Caen avec 12 autres de ses camarades.
Contribuer à faire connaître Lucien Sampaix, cet homme véritable, relève aujourd’hui d’une action extrêmement contemporaine pour la conscience humaine.
Un combat pour lequel Lucien Sampaix a donné sa vie avec des milliers d’autres. Un combat livré au plus haut point par le journal l’Humanité qui a payé un lourd tribut à la lutte contre la barbarie nazie : quatorze de ses salariés sont morts fusillés ou en déportation : Gabriel Péri, Pierre Lacan, Robert Blache, Henry Terryn, René Lepage, Léa Maury, André Chennevières, Victor Messer, Henri Vincent.
Permettez-moi pour terminer de citer les mots d’une autre grande figure de l’Humanité à propos de Lucien Sampaix, André Wurmser, des mots chaleureux qui nous font mieux mesurer cette discrétion du personnage, qui a contribué pour une part à le laisser éloigné des efforts de mémoire : « Je ferme les yeux et je le revois. Avec Gabriel Péri. Je n’ai presque jamais vu l’un sans l’autre. J’ai appris depuis à mon plus cher profit, que la fraternité qui les liait était le bien le plus précieux. Je revois son sourire modeste. Plus que modeste : timide. Il écoutait plus qu’il ne parlait. Tel que quelques années plus tôt : ouvrier, militant du Parti communiste, journaliste, d’un talent qu’il n’a jamais monnayé. »
3 commentaires
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merci monsieur Le Hyaric pour ce magnifique article.
Est ce Lucien Sampaix qui a écrit ” ouvrier je suis ouvrier je reste,ouvrier je pense.
Serge Petit