Terrorisme : combattre et assumer la complexité

le 26 mars 2018

Devant le drame de Trèbes et l’altruisme héroïque et bouleversant du lieutenant-colonel de la gendarmerie Arnaud Beltrame qui a sacrifié sa vie pour en sauver une autre, la France entière se recueille, refusant de s’habituer à l’horreur même quand celle-ci vient se manifester dans la banalité du quotidien d’un supermarché d’une petite ville éloignée de la capitale. Ne pas s’habituer à l’horreur c’est d’abord communier entre citoyens, manifester sa peine comme son indignation. La réaction solidaire de tous les cultes est à cet égard une bonne chose pour le pays. C’est aussi chercher à comprendre et donc permettre de lutter contre la gangrène fanatique et ses terribles conséquences.
Pourtant, dès qu’un attentat terroriste survient, pullulent les bonimenteurs qui viennent partout clamer qu’ils ont « la » solution pour éradiquer ce fléau. Et cette solution, comme à chaque fois, emprunte le sentier de la démagogie pour détériorer l’état de droit et faire progresser l’arbitraire.
La décence minimale, l’honnêteté intellectuelle la plus  élémentaire commande d’affronter la complexité d’une menace lourde pour notre pays et nos concitoyens mais aussi pour des dizaines de peuples au premier rang desquels les peuples du Proche et Moyen-Orient. Cette complexité devrait interdire d’affirmer qu’une seule solution, comme toujours d’ordre sécuritaire, permettrait de mettre à bas la menace terroriste.
Ces postures de facilité ne sont au fond qu’impostures. Nous voulons affronter la complexité et soulever quatre grandes questions.

Les enjeux de sécurité publique :
Elles sont essentielles et premières pour garantir la sureté de tous nos concitoyens. En matière de sécurité comme en toute chose, l’efficacité est le contraire de l’agitation. Cette agitation verbale dont nous rebat les oreilles l’extrême droite et la droite en perdition.
Des progrès importants ont été réalisés pour pister et cerner les potentiels terroristes dont le nombre a cru au fur et à mesure que daesh reculait sous les coups de la coalition.  Mais enfermer tous les fichés S comme le proposent de concert M. Wauquiez et Mme le Pen, c’est court-circuiter les processus qui permettent aux forces de l’ordre et aux services de renseignements de remonter des filières et donc de nous prémunir de nouveaux attentats. C’est donc mettre en danger de nouvelles vies humaines ! La sécurité est une affaire de professionnels et de technique qu’il convient de ne pas parasiter par des polémiques stériles. La coordination entre pays européens et pays tiers a fait des progrès mais demande encore et toujours à être approfondie. Il faut enfin débloquer des moyens financiers et surtout humains pour assurer une surveillance au plus près des personnes repérées, les empêcher de nuire et remonter aux donneurs d’ordre.

La  géopolitique :
Les guerres semées par les interventions militaires occidentales depuis trente ans, le chaos qui en résulte et les centaines de milliers de morts, le choc des civilisations mijoté par des cabinets noirs, est une cause essentielle de l’émergence et de la propagation du terrorisme islamiste.
La honte ne semble pas atteindre Manuel Valls qui, surenchérissant sur la droite et l’extrême droite, affirme vouloir « interdire le salafisme », alors qu’en tant que premier ministre il a fait la promotion permanente et sans nuances des pays qui le font prospérer, au premier rang desquels l’Arabie Saoudite.
Croit-il par ailleurs que c’est par une interdiction que le combat contre l’obscurantisme peut être gagné ? Faut-il abandonner en rase campagne le combat politique pour se réfugier derrière la censure d’une idéologie, aussi détestable soit-elle ? Quel précédent cela créerait-il dans un pays qui se réclame encore de la liberté ?
La France doit repenser son rapport au monde arabe,  repenser la nature de ses alliances pour faire avancer les logiques de paix et non les seules logiques commerciales. Le dialogue avec les monarchies théocratiques qui inspirent et financent la mafia terroriste d’une main, et garantissent les intérêts du marché capitaliste dans sa forme la plus sauvage de l’autre, doit s’engager sur de nouvelles bases.
Ce n’est pas en fermant les yeux sur les massacres de masse, au Yémen ou en Syrie, ou sur l’épuration ethnique des kurdes par la Turquie d’Erdogan que la France jugulera la menace terroriste. Au contraire, elle laisse ainsi le terreau fertiliser.

La question idéologique :
Face au « choc de modernité » de ces dernières décennies s’affirment partout, en Europe comme dans le monde arabo-musulman, des réflexes réactionnaires, la négation des idées de progrès et universalistes, jusqu’aux possibilités de vivre ensemble, quel que soit son culte ou son origine, dans la liberté et l’égalité.
Face à l’échec des dirigeants nationalistes arabes corrompus et autoritaires s’affirme dans le monde arabe une idéologie politico-religieuse qui prend appui sur les pertes de repères sociaux et la pauvreté. L’atonie de mouvements sociaux, ou de l’arc en ciel progressistes  souvent réduits au silence, a laissé dans de nombreux pays le champ libre à des idéologies réactionnaires qui ont justifié une forme de violence politique et sociale et qui cherche à s’immiscer dans les consciences de jeunes européens, jusque dans nos quartiers populaires.
Il faut urgemment avancer un projet politique neuf, qui ne peut reposer que sur une visée de progrès social général, en faisant la promotion partout et tout le temps des libertés individuelles et collectives, de l’égalité sociale et politique et de la possibilité d’une fraternité humaine. Il faut également remettre l’ouvrage sur le métier sur la grande et fondamentale question de la laïcité. Ce combat d’ordre idéologique ne pourra se mener qu’à la condition de prendre appui sur des progrès réels et matériels pour l’ensemble de la population. Il est en somme corrélé et conditionné par le combat social.

La question sociale :
Les processus de radicalisation sont complexes mais les profils des assassins se ressemblent trop pour ne pas interroger ce terreau originel commun de la petite délinquance, du larcin et de l’usage répété de stupéfiants, quand ce n’est de son commerce, cette vie appauvrie par la subsistance quotidienne, le désert social et la relégation à partir desquels s’exacerbent les démons identitaires.
Comment une infime partie de cette vaste jeunesse française laissée à l’écart de la République et de la vie sociale peut-elle tomber avec une facilité déconcertante dans les mailles du filet djihadiste, succomber à la haine de son pays et sombrer dans l’idéologie de mort, jusqu’à mourir elle-même ? Voilà qui devrait nous interroger. Une urgence nationale devrait être décrétée pour l’égalité sociale et politique, des moyens dégagés pour l’éducation et la culture, les loisirs et le sport, le logement et l’emploi, dans les quartiers aujourd’hui laissés à l’abandon, afin de cesser de faire mentir la promesse républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité. Là où progresse la République sociale, pourra reculer l’obscurantisme.

C’est en affrontant chacun de ces enjeux avec patience et sérieux, en conservant nos principes et notre unité, sans céder aux sirènes hurlantes de la démagogie et de la division, que nous pourrons prétendre mener un combat sérieux contre le terrorisme.
Retenons pour finir la force de ces mots de la mère d’Arnaud Beltrame, incroyable de pudeur et de dignité, qui, à la question « comment rendre hommage à son fils? », répond : “En étant davantage citoyen, faire le bien autour de soi, ne pas avoir peur, continuer de vivre, apprécier la vie, aimer la vie, s’émerveiller devant une fleur qui s’ouvre, devant la mer, la montagne”.
La résistance de l’esprit, la force des principes de justice et de droit construits à travers les épreuves de l’histoire, et la capacité d’émerveillement, toujours, devant la beauté du monde sont  les manifestations de tout ce qu’abjurent les assassins et sûrement les armes les plus puissantes pour les réduire au silence.


11 commentaires


Moreau 26 mars 2018 à 22 h 39 min

L’assassinat d’un très grand sauveteur aux vraies valeurs universelles comme Arnaud Beltrame est monstrueux, éliminer un homme comme Arnaud Beltrame est un crime monstrueux ; grande amitié aux très grands sauveteurs, et je pense qu’il faut tout le progrès possible de la république française et européenne démocratique laïque universelle, pour le Bien auquel pense la mère d’Arnaud Beltrame. Merci Patrick Le Hyaric, de tout coeur avec les victimes.

Calmon 27 mars 2018 à 9 h 20 min

Bonne analyse! Dommage que la fin soit un peu trop lyrique!

Moreau 27 mars 2018 à 9 h 46 min

Le lyrisme a donc contribué au sauvetage.

Moreau 28 mars 2018 à 12 h 06 min

La personnalité de Arnaud Beltrame se résume bien avec ces deux mots qui n’appartiennent qu’aux Hommes qui savent se les approprier réellement, sans quoi il n’y a pas l’universel : l’Humain d’abord. C’est l’excellence de préférer l’Humain à tout.

Brûlé 28 mars 2018 à 12 h 12 min

Suis complètement d’accord avec le texte

Fraternellement : Fred Brûlé (Pléchâtel – Ille-et-Vilaine ; ancien coopérant en Algérie de 1966 à 1971 de l’Association de jumelage Rennes-Sétif; en mai 2013 : séjour dans l’Est Algérien chez des amis à Sétif et accueilli par mes anciens élèves à Constantine, Annaba, Skidda et Zouk el Tenine plus de 40 ans après les cours suivis et donnés au Lycée Tewfik Khaznadar de Constantine

chb 28 mars 2018 à 16 h 01 min

Parce qu’il s’est sacrifié dans la lutte contre le terrorisme, Beltrame est un héros bien consensuel, mis en avant par un pouvoir en quête de légitimité qui n’en fait pas tant pour les dizaines de soldats du feu morts en protégeant le pays, ni pour les héros du quotidien.
Parce qu’il était gendarme, chrétien et saint-cyrien, para décoré en Irak etc., il est spécialement le héros d’une France de droite, islamophobe et confite en militarisme.
RIP (lieutenant) colonel Arnaud Beltrame ! Et j’espère pouvoir continuer à écouter Hécatombe de Georges Brassens.

Notons aussi que non contente de “ferm[er] les yeux sur les massacres de masse” selon P. LeHyaric, la France y contribue, souvent à la remorque de l’Oncle Sam et des pétromonarchies. Rwanda, Libye, Syrie, Mali, Yémen sont parmi les pays où nous avons participé au chaos et à la misère, pendant que les anti-impérialistes traditionnels manquaient singulièrement de clairvoyance : ouvrons les yeux, ouvrons nos gueules !
Notre humanisme de quartier, dans les écoles et les pôlemploi, ne suffira pas à désamorcer la hargne qui se traduit parfois en obscurantisme et en terrorisme.

Moreau 28 mars 2018 à 20 h 22 min

Nous vivons dans une société française et européenne qui n’arrive pas à se construire à cause de la classe politique et de tous ses sectarismes à cause de tous les partis que l’abstention rejette à bon escient. Dans cette société empêchée par les partis politiques qui ainsi l’empêche parce que c’est beaucoup moins épuisant que servir toutes les personnes de la population ; il y a bien sûr des critiques à faire en ce qui concerne des catégories de personnes mais il faut avoir du discernement humain. Selon l’entourage de Arnaud Beltrame, l’homme et le gendarme Arnaud Beltrame sont indissociables, c’est aussi ma pensée profonde. Arnaud Beltrame est un très grand sauveteur de très grand mérite. Il a sauvé la vie au prix de la sienne, alors qu’il devait réaliser son mariage religieux en juin 2018. Ma pensée profonde est que les Hommes qui protègent des personnes contre le terrorisme ont de réels méritent, tous, alors que le mot « mérite » a été octroyé à tort et à travers pour l’économie et l’antisocial, raison gardée qu’il ne peut pas y avoir de social réel sans les sciences associatives et sociales auxquelles la classe politique préfèrent continuellement « les sciences sectaires ». Un sauveteur qui sauve la vie au prix de la sienne mérite et mérite le respect entier, et s’agissant de Arnaud Beltrame, de l’humain et du gendarme. Arnaud Beltrame a assumé au prix de sa vie l’interdépendance entre les Hommes. C’est au-delà de toutes les proses politiques !
Les attentats terroristes sont condamnés par l’ONU comme crime contre l’Humanité. Comme l’a chanté Jacques Brel, l’Humain et l’Humanité ne peuvent être sauvés que par la force d’aimer dont la source est dans la culture réelle pour peu de ne pas diviser Jacques Brel et Georges Brassens !
Le populisme du vingt et unième siècle accompagne une dictature du vingt et unième siècle, étant à cette dictature, ce que la Démocratie (il n’y en a plus, elle est à refonder, serait à la République authentique universaliste du vingt et unième siècle qui risque de devenir aussi impossible à réaliser en France qu’en Italie !).
La classe politique française comme celle d’autres pays de l’Union Européenne déshumanise tout le monde au point que les Hommes n’arrivent pas à s’estimer selon leur vraie valeur et à vivre amis.
C’est dire vrai que Arnaud Beltrame a fait preuve d’un très grand mérite tant je pense que c’est le mot le plus juste pour rendre hommage à un sauveteur comme lui. Il faut en être bien conscient.
Les Hommes sauveurs suprêmes, ça n’existe pas ; c’est toute l’Humanité elle-même qui réussira à se sauver du terrorisme comme des autres fléaux à moins qu’il y ait la fin du monde avant.

Hily Soizic 31 mars 2018 à 14 h 48 min

Magnifique, monsieur, très belle pensée, très beau texte. Je ne suis pas dithyrambique, mais je le dis ainsi, car de partout on entend déclarer que le PCF est inaudible; or, votre publication est une des plus sincères, complètes et réfléchies parmi ce qui a paru. Et il me semble qu’il faut y voir aussi la justesse de la réflexion du PCF actuel sur les problèmes du monde et de la société

Lafaye Jacques 31 mars 2018 à 18 h 12 min

J’apprécie hautement vos textes,Monsieur Le Hyaric;ça serait bien si tout le monde pouvait ou
voulait les lire (et les entendre).

PEILLET Georgette 1 avril 2018 à 11 h 37 min

je suis choquée par l’amalgame qui a été fait par les médias mettant ds le meme sac MELENCHON et LE PEN traités d’antisémites – les gens ne creusent pas assez ou ne réfléchissent pas : la politique ne les intéressent pas et au moment des élections ils se laissent berner par de belles paroles de certains candidats qui en fait font souvent le contraire de ce qu’ils ont promis.

alain harrison 2 avril 2018 à 20 h 40 min

Bonjour.

«« Une urgence nationale devrait être décrétée pour l’égalité sociale et politique, des moyens dégagés pour l’éducation et la culture, les loisirs et le sport, le logement et l’emploi, dans les quartiers aujourd’hui laissés à l’abandon, afin de cesser de faire mentir la promesse républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité. Là où progresse la République sociale, pourra reculer l’obscurantisme. »»

Bien, les solutions urgentes sont nommées. C’est la base élémentaire pour tout pays, quelque soit la culture, pour une saine société.

Maintenant comment et par qui cela peut se faire ?

Quelle instance pourrait réaliser cela ?

Quelle leçon tiré de ce début de siècle ?

Quelle instance pourrait réaliser cela ?

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