Qui a peur de la démocratie ?

le 10 février 2020

C’est une petite musique qui devient tapageuse. Face à la colère populaire contre un pouvoir jugé obtus, arrogant et autoritaire par 72% des français, ses auxiliaires organisent la contre-offensive, accordent leurs violons, et donnent de la voix.

Tous les arguments sont bons, jusqu’aux plus sournois, pour défendre un gouvernement et un Président aux abois, et mener à cette fin une violente offensive idéologique. Celle-ci consiste aujourd’hui à faire des acteurs du mouvement social des ennemis de la République et de la démocratie. Le Président a lui même lancé le bal dans l’avion qui le remmenait de Jérusalem, en invitant son opposition politique à « essayer la dictature » pour justifier ses dérives autoritaires. Manière, une fois de plus, d’inciter ses opposants à rejoindre l’extrême droite et d’incarner l’état de droit pour donner une légitimité, refusée par une grande majorité de français, à la casse organisée des solidarités.

Ces fondés de pouvoir s’indignent qu’il puisse y avoir de-ci de-là dans des cortèges des effigies du Président de la République au bout d’un pic, ou des « retraites au flambeau ». Les mêmes se scandalisaient hier que les gilets jaunes aient ressorti des guillotines, factices faut-il le rappeler, au milieu des places et des ronds points. Soyons clair, ce n’est pas notre préconisation. Et celles et ceux qui agissent ainsi ne réclament pas le retour de la peine de mort. Il ne s’agit que d’une symbolique.

Que le peuple mobilise ces symboles qui ont contribué à le faire « roi dans la cité » hérisse les poils de ces drôles de « républicains ». Leur vient-il à l’idée qu’ils expriment en toute simplicité l’acquis fondamental de la République française, à savoir qu’il ne saurait y avoir d’autre souverain que la communauté des citoyens, et qu’il en couterait à celui qui pense pouvoir agir contre ou sans elle ?

Cette frousse face à des symboles carnavalesques que l’intelligence et la mémoire populaire ont remis en selle contraste avec la violence, bien réelle, qu’affrontent les travailleurs de ce pays. Une violence sociale qui s’enracine dramatiquement depuis des décennies dans un pays où plus de 9 millions de citoyens sont cloués sous le seuil de pauvreté, confrontés à la désindustrialisation, au chômage, à la précarité, aux bas salaires et la sécession d’une partie des classes possédantes qui considère ne plus avoir d’obligation à faire vivre le contrat social. La violence réelle, ce sont les plus de 500 travailleurs qui meurent chaque année dans l’exercice de leur métier, les travaux pénibles qui, abimant les corps et les esprits, réduisent drastiquement l’espérance de vie. Elle réside dans l’indécente accumulation des richesses créées par le travail à un pôle de la société, que les gouvernements successifs s’échinent à épargner de toute contribution au bien commun au nom de la compétitivité.

Ce concert d’injures ne rappelle que trop la coalition de ceux qui, au nom de l’ordre bourgeois, firent tourner les fusils de la garde nationale sur les insurgés de juin 1848, avant de préparer l’avènement du second Empire. Pour eux, aujourd’hui comme hier, la République n’est qu’une garantie de l’ordre social inégalitaire. Toute velléité à faire vivre une République démocratique et sociale, pourtant inscrite dans la Constitution, doit être matée, fut-ce à l’aide d’un usage dévoyé de la force publique. Vers quels lendemains nous mènera cette intransigeance antisociale au nom d’un ordre inique ?

On nous dit, on nous répète que la République garantit la liberté d’expression, d’opinion, de manifestation, le suffrage universel, la séparation des pouvoirs. Elle le devrait, c’est sa raison d’être. Mais faut-il avoir la désobligeance de faire un diagnostic précis de chacune de ces conquêtes sur les dernières décennies, et du sort qui leur est réservé dans la France de M. Macron ?

La liberté d’expression et d’opinion est en berne quand l’écrasante majorité des éditorialistes et des moyens d’information soutient l’opinion exactement inverse de celle d’une large majorité de français sur le « projet de société » régressif que constitue la réforme des retraites.

La liberté de manifestation est en souffrance quand des policiers éborgnent, cognent à vue, s’extraient des règles qui régissent le maintien de l’ordre public pour dissuader des milliers de citoyens qui la souhaiteraient de garnir les cortèges, de peur d’y perdre un œil, d’y subir des coups de matraque ou des nuées de gaz lacrymogènes.

Le suffrage universel est boudé et menacé quand le vote majoritaire des français est nié sur les enjeux fondamentaux, comme ce fut le cas en 2005 lors du vote référendaire sur le projet de constitution européenne. Il est réduit à peau de chagrin quand les élus locaux sont peu à peu dépossédés de leurs prérogatives, privés des moyens financiers de faire vivre la démocratie locale et le service public par l’asphyxie organisée des comptes publics. Les décisions essentielles sont centralisées par un appareil technocratique allié au capital financier. La souveraineté populaire est ainsi réduite à une alternance sans alternative qui, au nom du consensus libéral -le fameux cercle de la raison – porté par les traités européens, défait toutes les solidarités pour garantir les intérêts des possédants. Ceux-ci s’étonnent ensuite d’une violence qu’ils suscitent chaque jour par une politique scélérate pour se retrancher, une fois inquiétés, derrière la morale et la police.

La séparation des pouvoirs s’éloigne chaque jour quand le Parlement n’ose plus lever le petit doigt pour contredire son gouvernement et quand celles et ceux qui s’y risquent subissent l’opprobre et le mépris du pouvoir exécutif. Elle est malmenée quand l’institution judicaire se rend perméable aux volontés du Prince et quand le parquet obéit aux injonctions gouvernementales pour organiser la répression judicaire des mouvements sociaux. Le verrouillage démocratique devient ainsi la condition de la main mise du capital financier sur les sociétés.

Nous ne sommes certes pas en dictature mais la République et son corolaire, la démocratie, sont très mal en point. La tentative de séparer isoler l’Etat de droit des revendications populaires ne peut déboucher que sur un système de violence. Il faut absolument s’en prémunir tant l’histoire nous enseigne qu’une spirale de la violence est toujours défavorable aux intérêts populaires et jette dans les bras du parti de l’ordre des pans entiers de la société. Il faudra plus que des mots pour la conjurer, mais des actes pour ériger, enfin, une République sociale et travailler à un processus de   dépassement du capitalisme.


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Moreau 11 février 2020 à 23 h 41 min

L’évolution de ce que la gauche amnésique qu’elle a été sanctionnée en 2017 appelle encore mouvement social, est préjudiciable quasiment pour tout le monde tant elle n’est pas au service de toute la population. L’évolution est préjudiciable à la France et à l’Union Européenne, et je le dis en toute objectivité, je trouve que c’est surtout de la faute de la gauche française qui refuse tout progrès politique réel voulu par le Peuple français. Et pour qu’il puisse y avoir progrès social du vingt et unième siècle, il faudrait qu’il puisse y avoir progrès politique du vingt et unième siècle.

De l’alternance inédite il ressort bien sur d’autres points que sur celui du régime des retraites, que la droite à tendance républicaine a su se remettre en question même s’il reste souhaitable que la remise en question aille plus loi en libéralisme universaliste.

La gauche en entretenant son amnésie de même qu’elle continue à diviser ainsi que ses divisions, ne se remet jamais en question depuis des années en années, n’étant même plus la gauche tant elle est capitalisme du vingtième siècle et début du vingt et u nième siècle !

La république en marche a fait une erreur de langage et la gauche aurait pu le lui faire observer en toute gentillesse, la gentillesse n’est jamais de trop, et il n’y a jamais grande bienveillance sans toute la gentillesse à se donner ; c’est ma conviction. La république en marche a parlé d’un nouveau régime de retraite, régime de retraite universel ; mais elle aurait dût dire, régime de retraite universaliste.

Un mot plutôt qu’un autre, et tout le monde peut ne plus arriver à comprendre pour évoluer bien. Il est évident que l’universel, ce n’est pas seulement, le libéralisme universaliste.

Mais il est tout aussi évident que tout est de la faute de la gauche qui a été sanctionnée en 2017 et se conduit comme si elle ne l’avait pas été ; et qui ne fait rien sauf protester pour protester surtout, pour la politique sociale française et européenne comme pour la politique générale, du vingt et unième siècle. Et ça rejette encore des Français et d’autres Européens dans l’urgence économique et sociale toujours plus grave notamment à cause des difficultés du transport particulier faute d’une politique industrielle universaliste pour l’automobile et pour tous les automobilistes.

La gauche qui n’est toujours plus la gauche et qui n’est pas empressée de redevenir la gauche, dans le contexte ou beaucoup de gens n’arrivent toujours pas à vivre, empêche toute une évolution qui à mon avis serait la meilleure en empêchant l’association légitime et souhaitable des bonnes approches libérales universalistes car la république en marche n’a pas tout faux ; des bonnes approches socialistes universalistes, et les bonnes approches communistes universalistes.

Il n’y a pas que de la réforme du régime des retraites dont il faut parler, la politique pour tous, ce sera pour quand ? La politique pour tous, c’est la question même de la classe politique, il faut que les partis arrêtent de se jeter des pierres ! C’est inadmissible le manque total de démocratie du vingt et unième siècle qui est fait par tous les partis déjà sanctionnés surtout.

Ma conviction est que la réforme pour le régime des retraites universaliste, je dis bien ; pourrait être encore améliorée, mais pour ça, il ne faut pas bloquer le progrès politique réel.

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