Le sens d’un nouveau modèle social français

le 10 janvier 2013

PeuplesL’année qui commence sera la sixième d’une crise extrêmement profonde et globale qui affecte le monde entier.

De toute part, on annonce aux populations une année 2013 encore plus difficile que les précédentes. Paradoxalement, les mêmes prédicateurs expliquent depuis quelques semaines que la crise serait sur le point d’être surmontée. C’est peut-être vrai s’agissant des cotations boursières des mastodontes de l’économie mondialisée en hausse. Mais c’est tout le contraire pour les populations soumises au sang et aux larmes parce que l’impératif du rétablissement des comptes publics surplomberait tout ! Or, nous entrons dans la quarantième année où le budget de l’Etat est déficitaire, à une ou deux exceptions près. Quarante ans ! Depuis exactement le moment de la modification du statut de la Banque de France par M. Giscard d’Estaing. Après cette date, cette dernière  n’a pu prêter à l’Etat, à taux nul,  l’argent dont il avait besoin pour faire face à ses dépenses courantes ou d’investissement. Il a donc a été contraint d’aller emprunter sur les marchés des capitaux internationaux. Dès lors, l’argent devenait de plus en plus une valeur marchande spéculative et de moins en moins un outil d’échange. Sans cette transformation, conséquence d’un choix politique, il est vraisemblable que la dette du pays serait plus proche de 20% de la valeur des richesses produites que de 92% comme elle l’est actuellement. Cette décision de financiariser l’économie nationale avec le marché des capitaux transnationaux s’est accompagnée d’une réduction des prélèvements sur le capital. Avec la montée du chômage et des bas salaires qui ne lui est pas étrangère, les recettes pour les budgets de l’Etat et de la protection sociale n’ont cessé de se comprimer, amplifiant d’autant un déficit sans fin. Voilà identifiée une des causes d’une crise qui n’a donc rien de fatale. Le souligner, c’est du même coup mettre à nu la nécessité d’un autre rôle de l’argent et d’un nouveau type de crédit pour des objectifs de développement humain et environnemental. C’est aussi comprendre que continuer comme avant ne fera que poursuivre et amplifier ce qui est à l’origine des problèmes à résoudre, parmi lesquels celui d’un autre rôle et d’un autre statut des banques et particulièrement de celui de la Banque centrale européenne.

Revenir à la source permet aussi de retourner un thème idéologique cher aux forces de l’argent qui, pour pouvoir se rentabiliser plus, pressurent le travail, les retraites, les protections sociales et les services publics au nom, disent-elles, du « coût du travail ». Mais le travail n’est pas un « coût ». C’est le créateur des richesses. Par contre le vrai coût est celui que prélève le capital sur la société. Quand la protection sociale représente un prélèvement de 140 milliards d’euros sur l’activité des entreprises, pour le bien commun humain, celui des remboursements des seuls frais financiers et de distributions de dividendes dépasse 304 milliards d’euros.

Cette donnée de fond est au cœur de la controverse entre nous et le gouvernement. Nous souhaiterions qu’elle fasse l’objet d’un  débat public, au grand jour, de telle sorte que celles et ceux qui ont choisi la gauche au printemps 2012, et bien d’autres encore, qui n’en peuvent plus des difficultés qu’ils affrontent, puissent se faire une opinion, débattre, intervenir pour créer les conditions de la fin de la toute puissance de la finance spéculative et de la gangue des actuelles institutions européennes.

Pour rétablir les comptes publics, une autre voie est possible que celle qui depuis quarante ans les a détériorés à un point devenu insupportable. Or, la  réduction des crédits sociaux et publics, l’augmentation de la fiscalité sur le travail, la consommation et l’habitation, l’exonération de 20 milliards d’euros sans contrepartie aux grandes entreprises sont autant de choix qui se placent dans les pas de ceux qui ont conduit le pays dans le mur, avec trop souvent une dureté plus grande de la vie, au nom de la crise. Avec l’austérité qui accable les peuples, ils sont aussi à l’origine de la détérioration de nos échanges commerciaux avec des pays qui ont plus misé sur la qualité des productions, l’innovation, la recherche que sur la rente versée aux actionnaires. Car voici un thème qui mériterait encore bien des débats : celui de la compétitivité. Telle qu’elle est pensée aujourd’hui, elle n’est que le synonyme de la « concurrence acharnée » puisqu’il s’agit toujours de s’aligner sur le « moins disant social ».

Dans ce cadre, le Président de la République et le Premier ministre mettent en avant, depuis quelques semaines, le concept de « nouveau modèle français ». On ne peut s’empêcher de penser à celui  que M. Chaban-Delmas en son temps, aidé par J. Delors, avait qualifié  de « nouvelle société ». Remarquons que ce concept n’a pas été nourri dans les dernières campagnes électorales ni par plusieurs des choix gouvernementaux opérés depuis. S’il est bien question d’inventer un « nouveau modèle français » pour mettre plus d’humanité dans une société qui en manque singulièrement, ceux qui comme nous, depuis des années, proposent de défricher les chemins inédits d’un processus populaire démocratique de transformations, pour y parvenir ne peuvent qu’exprimer leur disponibilité. La question concerne l’ensemble de la communauté nationale et elle ne pourra se concrétiser sans les apports de toutes et tous dans une confrontation publique loyale et honnête, excluant les postures, les dogmes, les procès d’intentions et les invectives. Ainsi, si nous pouvons nous retrouver dans plusieurs intentions, objectifs et valeurs développés par M. Ayrault, nous relevons -c’est un constat- que deux finalités s’affrontent. Celle du pouvoir qui, selon les mots du Premier ministre, consiste à « renouveler le modèle français pour l’adapter au temps présent et donner une nouvelle réalité à ses valeurs républicaines fondatrices ». N’est-ce pas au nom de cette « adaptation à une nouvelle réalité » que la rémunération du travail est tendanciellement abaissée, qu’existent les projets de reculer encore l’âge ouvrant droit à la retraite, de flexibiliser plus encore le travail, de le précariser, de diminuer le niveau de protection sociale sous couvert de rationalisation, d’amputer les crédits des services publics, d’augmenter les impôts directs et indirects sans introduire plus de justice fiscale et même de remplacer le SMIC par le niveau du RSA, de remodeler les territoires tout en réduisant les dotations aux collectivités territoriales ? Et les responsables du pays utilisent un oxymore en voulant faire croire que la compétitivité ainsi conçue va de pair avec la solidarité. Franchement, qu’y aurait-il de nouveau dans ce modèle là sinon un alignement sur les systèmes les plus ultralibéraux du continent, qui tournent le dos aux exigences d’humanité, de justice, d’écologie et de démocratie afin de mettre notre pays, son droit du travail, sa protection sociale, ses services publics en adéquation avec des traités et directives européennes au service du capital dans la guerre économique.

L’autre choix consisterait à examiner les moyens de la mise en œuvre des axes du discours de F. Hollande au Bourget, au cours duquel il avait désigné l’ennemi comme étant « la finance ». Une nouvelle espérance ne peut se développer qu’à partir d’une promesse de sortie de crise. Mais, bien au-delà, il s’agit de changer la logique dominante à l’œuvre. Notre ambition n’est pas dans des postures de défense d’un existant qui ne donne satisfaction à personne et ne correspond pas à la nature des enjeux de l’époque.

Il s’agit, dans les finalités, les propositions concrètes, la forme et l’ampleur des confrontations d’idées et des mobilisations, d’inventer une organisation sociale qui, par définition, n’existe nulle part. Qui, parce qu’elle se propose de faire du progrès humain l’ambition commune, sera de nature à impliquer nos concitoyens dans un processus de libération des potentialités qu’ils recèlent en eux.

Cela provoquerait des tensions avec les puissances d’argent, les institutions internationales et européennes ? Assurément ! Mais n’est-ce pas  la mission de la gauche d’être au service de l’intérêt général et de porter le neuf qui permet d’y parvenir contre les tenants de l’ancien, les privilégiés de la fortune et des pouvoirs ? Faire accepter l’austérité aux peuples, quand l’argent coule à flots dans les circuits bancaires, les fonds financiers opaques et les paradis fiscaux. C’est la mission de la droite et de l’extrême-droite. Or, c’est la Commission européenne elle-même qui a révélé dans un rapport, publié le 21 décembre 2012, que les banques ont été soutenues par les Etats, à hauteur de 1616 milliards d’euros, soit l’équivalent de 13% des richesses produites dans l’Union européenne, auxquels il faut ajouter les 1000 milliards euros de crédits à taux nul accordés par la Banque centrale européenne entre fin novembre 2011 et mars 2012. Au nom de quoi, dans ces conditions, faudrait-il en plus  répondre aux commandements bruxellois de réduire les crédits publics, quand les gâchis de capitaux sont à ce point énormes !

Un nouveau modèle français appelle à réformer la fiscalité, le crédit, l’organisation bancaire pour combiner justice fiscale, efficacité économique et écologique, crédit public orienté vers le travail, l’investissement productif, la recherche et l’innovation. A être simultanément le pays qui affiche sa détermination à agir avec les autre Etats européens pour transformer le concept politique « d’Union européenne » en une Europe sociale, solidaire, démocratique, œuvrant pour la coopération.

Plus profondément encore est en cause la capacité d’inventer ou non un nouveau mode de développement, tenant compte des mutations anthropologiques et écologiques, afin d’accéder à un plus haut degré de civilisation, avec un nouveau mode de production et de consommation qui induirait des modifications des systèmes productifs et d’échange. Indissociable d’un processus de sécurisation des parcours professionnels, combinant travail, formation, activité, selon les moments de la vie. Il s’agit non pas réduire les droits et libertés des individus mais bien au contraire, parce qu’ils représentent la principale richesse créative d’une société,  de garantir à toutes et à tous l’accès à l’éducation, à la culture, aux soins, à l’énergie, à l’eau, à l’alimentation, en préservant l’environnement, avec notamment la ré-humanisation des villes, la revitalisation des campagnes, et la préservation des écosystèmes. On mesure l’ampleur des investissements nécessaires qui sont autant de facteurs réels de croissance et de créations d’emplois, qu’il s’agisse de ceux consacrés à  l’innovation, la recherche dans la médecine, les énergies, l’agriculture et les technologies nouvelles,  dont le numérique et ses déclinaisons.

Avancer dans ce sens nécessite de prendre conscience que l’être humain pour vivre convenablement a vitalement besoin de biens communs publics, gérés différemment dans  le cadre d’une appropriation sociale et citoyenne, incluant des pouvoirs nouveaux pour les salariés et les usagers dans les gestions. Il n’est question ni de nationaliser comme avant ni de tout nationaliser mais bien de donner à la nation -pas à l’Etat- la maitrise des secteurs déterminants pour son développement humain et son harmonie. L’aspiration à participer, à être plus maître de son destin parcourt le monde. Des continents latino-américains, africains, des pays arabes, en Europe même, cet appel à une nouvelle démocratie s’exprime sur toute la planète de part en part. Quand plus de la moitié des habitants de notre monde dispose de téléphones portables aux multiples fonctions, dont celle de rendre l’information instantanée et mondialisée, que le niveau d’éducation s’élève relativement, cela fait prendre « un sérieux coup de vieux » à toutes les institutions, qu’elles soient nationales, européennes ou mondiales. Les questions d’une nouvelle représentation politique, de l’invention d’une démocratie de participation, d’intervention et de co-élaboration que va permettre de plus en plus la révolution numérique ; celles aussi de la conception, de la place et du rôle des partis politiques sont tellement à l’ordre du jour que tarder à y répondre est une des causes de la désaffection grandissante de nos concitoyens à l’égard de la pratique actuelle de la politique. Accorder le droit de vote aux citoyens étrangers, la représentation proportionnelle à toute les élections, l’égalité homme-femme dans le travail et la société et en finir avec le cumul des mandats sont donc autant de choix à opérer au plus vite.

En définitive, au cœur même de la crise, se heurtent deux puissants mouvements antagonistes. L’oligarchie financière mondialisée s’appuie sur la crise pour remodeler les sociétés, la vie humaine et la nature à sa guise pour rentabiliser toujours plus les capitaux. De leur côté, de différents façons, les peuples rejettent de plus en plus une austérité dont ils perçoivent peu ou prou qu’elle sert la minorité des possédants. Mais ils n’ont pas encore trouvé les moyens de se rassembler et de se donner un projet de transformation sociale et écologique « post capitaliste ». Y contribuer est le rôle de grands forums comme celui qui aura lieu à Athènes en juin prochain.

C’est aussi celui d’un Front de gauche qui ne peut s’en tenir à certaines réussites bien réelles. Sa transformation en une force qui, au cœur de la gauche et non à ses marges, réponde aux attentes démocratiques diversifiées de tout le peuple de gauche et de l’écologie politique, reste pour une large part à accomplir. Enorme responsabilité ! Enorme tâche ! Ambition nécessaire !

Dans le nouveau contexte de ce début d’année, tout se jouera sur la capacité à être perçu, par celles et ceux qui ont fait gagner la gauche, comme ayant un positionnement, un comportement, des analyses et propositions qu’ils jugent utiles, rassembleuses et unitaires par rapport à leurs attentes et espoirs.

L’Humanité et l’Humanité Dimanche ont les mêmes ambitions d’utilité  dans les débats et combats actuels, alors que la crise de la presse, de sa distribution menace aujourd’hui comme jamais le pluralisme. Nous allons donc amplifier, avec vous, nos batailles pour que vive le débat d’idées avec une presse diversifiée et pour développer l’indispensable lecture de l’Humanité et de l’Humanité Dimanche. Plus nous aurons de lectrices et lecteurs, plus nous enrichirons nos journaux grâce à de nouveaux moyens, plus nous vous serons utiles. C’est l’un des enjeux de la période à venir. Ce n’est pas le plus aisé à réaliser mais nous avons confiance en nos capacités collectives de mobilisation et de créativité.Patrick le Hyaric HD L'Humanité Dimanche Edito

10/01/2013


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