Le drame et la question démocratique

le 4 novembre 2014

FRANCE-ENVIRONMENT-AGRICULTURE-ENERGY-WATER-INVESTIGATION

Comment est-il possible qu’en France,  en l’an deux mille quatorze, un jeune homme épris de botanique et amoureux de la nature puisse mourir sous la mitraille d’engins de guerre. Rémi Fraisse n’avait que le tort de s’opposer avec des milliers d’autres à la construction d’un barrage dont l’utilité est contestée jusque dans les bureaux du ministère de l’environnement. Alors pourquoi ? Pourquoi cette violence ? Qui a donné l’ordre de tirer ainsi dans le dos d’un jeune homme pacifique au grand cœur ? Nous demandons la clarté sur la chaine de commandement qui a conduit à cette tragédie !  Que dit cet insupportable drame de notre société, et des pratiques politiques ? N’a-t-on pas à méditer sérieusement et collectivement sur l’engrenage qui a conduit les forces de l’ordre  à tuer un jeune militant de l’environnement ? Un jeune partie prenante de ces nouvelles mobilisations qui, des places de Tunisie et de Turquie  des  Etats-Unis au Burkina-Faso appellent un monde nouveau ; partie prenante de ces nouvelles générations de plus en plus conscientes du voile jeté par les pouvoirs institués sur la vraie dette qui se creuse à l’égard des générations futures : la dette écologique.

 

Son combat n’avait rien à voir avec quelques éléments plus que troubles, professionnels de la provocation et de la violence en fin de cortège ouvrier, ou de soutien à la Palestine et de mouvements pour l’environnement. Ceux-ci sont bien utiles à ceux qui cherchent quelque prétexte pour discréditer une cause.  Ici il s’agissait de porter le coup de grâce à un mouvement pacifique, responsable et conscient. A-t-on choisi en haut lieu une stratégie de tension et de guerre pour gagner la partie contre les citoyens ?

 

Lancé il y a une trentaine d’années par le Conseil général du Tarn, le projet de   barrage dans la forêt de Sivens fait l’objet d’une contestation grandissante depuis plusieurs années de la part d’actrices et d’acteurs de la cause environnementale, de quelques agriculteurs et d’élus dont notre ami Roland Foissac, Vice-président du Conseil général. Tous pointent la démesure du projet et son impact négatif sur l’écosystème de la zone humide du Tescou, grande de 18,8 hectares.

 

Les arguments avancés ébranlent les certitudes jusque dans les ministères. Ainsi, en octobre 2012, Delphine Batho ministre de l’environnement, rédige une circulaire qui met fin au financement public des retenues de substitution. Le projet de barrage ne parait pas pertinent pour répondre aux réels besoins en eau.

 

Pourtant, le 14 novembre suivant, la préfecture du Tarn enjoint le Conseil général à déclarer le projet d’utilité publique. Mieux, elle produit une circulaire levant l’exceptionnalité des espèces protégées.  La commission permanente de l’assemblée départementale vote à la majorité en ce sens le 17 mai 2013 sans les trois voix des conseillers écologiste et communistes.

 

Moins de deux mois plus tard,  le nouveau ministre Philippe Martin réhabilite les décrets : le projet est à nouveau soutenu par le gouvernement et retrouve toute sa légalité. La Préfète peut signer le décret qui reconnait le projet d’utilité publique.

 

Pour autant, la contestation ne faiblit pas et Ségolène Royale, nouvelle ministre de l’environnement, demande un rapport d’expertise.  C’est dire si elle doute elle-même.

 

Celui-ci, rédigé par deux ingénieurs des Ponts et Chaussées, est remis à la ministre le lendemain de la mort de Remi Fraisse.

 

Il indique que « le barrage en travers de la vallée a été privilégié sans réelle analyse des solutions alternatives possibles. Ceci est d’autant plus regrettable que le coût d’investissement rapporté au volume stocké est élevé ». Il souligne également « la médiocrité » de l’étude d’impact et « la fragilité du financement ».

 

L’irrigation ne concernerait qu’une petite trentaine d’agriculteurs contre les 81 avancés par le Conseil général.

 

Bref, ce projet est bancal depuis le début, dit en substance le rapport qui préconise d’autres solutions combinant l’intérêt des agriculteurs et l’intérêt général. Et il aura fallu qu’un homme meurt pour que les pouvoirs publics s’en rendent compte !

 

La gestion de ce dossier par le gouvernement est donc de bout en bout catastrophique et lourde de conséquences. Les postures de Manuel Valls contre les manifestants , les silences assourdissants du Président de la République à la suite du décès de Rémi, le temps qui s’est écoulé entre la découverte de sa mort et la première communication à l’agence France-Presse, les différentes versions des faits relatés par les gendarmes, le fait que le ministre de l’intérieur affirme qu’il ne s’agit pas d’une bavure, tout cela n’a fait que renforcer les questionnements et  le malaise, jusqu’au sein du gouvernement. L’ensemble de ces éléments crée une crise politique sérieuse.

 

S’ajoute à cela, le fait que l’on commande un rapport d’experts dans la panique, dont les conclusions soulignent que le projet a été totalement surévalué, au prétexte d’une redynamisation de ce terroir qui, certes, connait de réelles difficultés. Il pose avec le collectif du Tescou cette importante question : Doit-on sacrifier la zone humide et ses cinquante espèces protégées pour irriguer des champs de maïs ? Le rapport note que des solutions alternatives de retenues d’eau suffisantes pour assurer l’irrigation de la vallée n’ont jamais été étudiées. Comment comprendre encore que le Conseil général lui-même ne prend aucune décision et renvoie la balle à L’Etat ? Tout est confus, dans cette affaire !

 

Le barrage du Sivens illustre une sorte de faillite dans les processus décisionnels, et l’implication démocratique citoyenne.  Ce type de projets, ficelés quasiment en vase clos, où les décideurs et les maîtres d’ouvrages s’entendent en amont sur la pertinence des projets, très rémunérateurs, en l’absence de tout débat public approfondi et de toute contre-expertise pose de plus en plus problème. Ces projets engagent pourtant l’avenir des territoires et définissent soit un modèle agricole soit un aménagement des territoires avec des impacts sur la biodiversité, parfois de manière irréversible.

 

Se multiplient, aujourd’hui, des projets d’aménagement, d’agriculture et d’élevage industriel, un peu partout en France, sur le même mode opératoire, avec une mise à l’écart des voix discordantes et une opacité dans le montage des dossiers : ferme des 1000 vaches, poulailler des 250 000 poules, etc… que seuls rendent légaux quelques décrets préfectoraux visés par le chambres d’agriculture et les financeurs. Mais la légalité ne fait pas toujours la légitimité.

 

Et les voix qui s’élèvent contre ces projets font l’objet de poursuites judiciaires comme c’est le cas des syndicalistes de la Confédération paysanne qui ont manifesté  leur opposition à la ferme des 1000 vaches. Et l’actualité vient de nous prouver que pour faire taire ces voix, on peut aussi tuer des hommes.

 

Les leçons de cette affaire doivent être tirées au plus vite par le gouvernement. On ne peut à la fois promouvoir l’agro-écologie ou la transition environnementale et laisser faire de tels projets avec de telles méthodes. Ajoutons que la solution pour les paysans n’est pas le sauf qui peut individuel ou la fuite en avant productiviste qui leur est imposée. L’enjeu est la rémunération de leur travail par des prix qui rendent viable l’agriculture paysanne de qualité et diversifiée.

 

Rien ne doit se faire sans l’instauration de vrais débats démocratiques en amont qui associent les agriculteurs, les habitants, les associations et les élus locaux.


9 commentaires


J.J. 4 novembre 2014 à 15 h 19 min

Et que dire des mensonges éhontés, pour dicréditer les protestataires et leur soi-disant “irresponsabilité”, comme de déclarer que ce barage devait servir à l’alimentation en eau de Montauban ?
Est-ce volontaire ou du pur délire, ou le désir de nuire ?

Michel Berdagué 4 novembre 2014 à 15 h 28 min

Oui Patrick , c’ est pour cela que personne ayant l’ âge de voter ne peut et doit s’ abstenir . Ce plus que malaise a été patent depuis 2005 avec la mise à la poubelle de notre Victoire . Trois dans ce Conseil ont pu s’ opposer avec des arguments , c’ est pour le moins très peu , les conséquences sont terribles quand les réactionnaires voient nos forces divisées et affaiblies . L ‘ objectif de retrouver une audience et confiance au delà de 20 % est Urgent , du boulot encore du boulot ….

breteau jean claude 4 novembre 2014 à 16 h 08 min

Une fois de plus ,des élu-e-s locaux “socialistes “font peu de cas de l’argent public .Recenser leurs turpitudes dans ce domaine est impossible ,tant le scandale financier est énorme .Mais ce n’est pas perdu pour tout le monde,et surtout pas par les grands groupes qui se gavent ,au détriment des contribuables.Dans une nouvelle constitution écrite par le peuple ,il faudra travailler ,pour interdire ces gabegies,OUI,la solution passe par une démocratie XXL .Cela dit la droite n’est pas en reste dans ce domaine ,l’intérêt général n’est pas dans leur dictionnaire

GAZEAU 4 novembre 2014 à 16 h 22 min

Ce commentaire stéréoptypé bien convenable convIENdrait à un politicien quelconque,un écologiste par exemple.
Cette tragédie rappelle tous les renoncementS d’une gauche résolument libérale celle qui prétendait libérer la démocratie locale du joug des préfets et de l’ETAT autoritaire responsable de l’aménagement du territoire ou que ce soit en france et ailleurs,c’est la démocratie locale qui a choisi,dans ce cas comme les autre non le gouvernement de façon transparente politiquement pour tous les citoyens de france.
Quant au sentimentalisme en politique,c’est de l’apolitisme électoraliste.

Jean Paul MAÏS 4 novembre 2014 à 16 h 47 min

De quel commentaire “stéréotypé” s’ agit-il ?
C’ est bien un acte de guerre à la jeunesse auquel s’ est livré VALLS par préfet interposé.
Car rien ne justifiait l’ usage de 400 grenades, dont certaines offensives datant de la guerre … de 14-18 ! Ce n’ est pas un allemand de Bismarck qui en a pris une dans le dos, mais un jeune FRANCAIS pacifique ! Drôle de commémoration qui ne va pas sans rappeler les ” fusillés pour l’ exemple “. Oui, 100 plus tard, le gouvernement de la France continue à assassiner ses meilleurs fils.

RABOTOT Robert 4 novembre 2014 à 20 h 30 min

Le Gouvernement fonce tête baissée pour des projets mal étudiés et avec des couts exorbitants.
Le Conseil général du Tarn s’entête pour une réalisation qui servira a un petit nombre d’agriculteurs en saccageant des zones humides et en sacrifiant quelques forêts.
Et au final ce projet mal pensé, faisant l’objet de nombreuses critiques a abouti à la mort d’un jeune de 21 ans.
Le manque de réaction pendant plusieurs jours du Gouvernement m’indispose gravement.

pellizzoni 5 novembre 2014 à 9 h 49 min

l’écologie n’est pas le problème du gouvernement, et les petits agriculteurs il s’en moque,le réchauffement climatique n’est pas leur préoccupation, comment peut on continuer cette politique quand une grande majorité de Français est mécontente, quant à la sécurité elle est inexistante .Pouvons nous continuer à faire confiance avec toutes les promesses qui n’ont pas été tenues par Mr Hollande , il faut une personne avec du charisme à la tête du gouvernement et pas une marionnette

Guy Moreau 5 novembre 2014 à 10 h 04 min

Il faut un Front Républicain Démocratique Laïque de Gauche expressément bien nommé ainsi avec l’engagement d’en respecter chaque mot au sens littéral et donc dans l’exercice quotidien de la démocratie entière et réelle, participative par excellence. Le Peuple français peut faire le choix de passer à la nouvelle République mais il ne veut pas s’exposer à des déceptions. La réussite écologique dépend de tout ce vrai changement non servi ou trop peu ou mal servi, par une trop grande partie de la classe politique. Il faudrait à ce Front Républicain Démocratique Laïque de Gauche un responsable politique ayant l’ouverture culturelle qui existe dans ce blog.

Michel Berdagué 5 novembre 2014 à 13 h 44 min

Certes mais si tu ne t’ attaques pas à la société capitaliste avec la critique radicale de l’ économie politique , et de proposer des mesures Urgentes que le dépassement du capitalisme est la feuille de route . Car faire de l’ écologie sans parler de la structure de l’ économie et des finances privées comme de vouloir une Sixième sans que l’ exploitation de la poignée soit mise en cause , ou alors les taxer tout en acceptant la structure de la spéculation et l’ exploitation , c’ est tromper le Prolétariat sa classe ouvrière et tout le Peuple du labeur . Tu te rappelles que même Tobin disait à la fin de sa vie que ça ne servait à rien de taxer si les mécanismes sont toujours en place . Il en va de même pour ces réformes du peu du peu , un peu et , par contre la max pour le MEDEF , les patrons et les bourses . Nous sommes en période Révolutionnaire et si Nous ne pouvons pas nous Rassembler sur des mesures Urgentes et précises , alternatives et de réussir ce commencement au dépassement du capitalisme devenu financier et pire qu’ en 1916 projeté par Lénine , le Peuple ne nous fera pas confiance , nous boudera et s’ abstiendra . En 2014 toutes les couches , catégories , paysans , cadres moyens , artisans , commerçants , petits entrepreneurs , chercheurs , professeurs , ….la classe ouvrière et tout le salariat depuis longtemps , sont touchés de plein fouet par l’ impérialisme du capital financier mettant en difficulté même ,parfois ( pas tous ) , celui – le capital – de la production , les ” sous traitants ” aussi n’ ayant pas la maîtrise de leurs finances , car tributaires des banques privées , morflent dans ce système avec toute la disparition des savoirs faire . Donc Rendez vous le 15 novembre , c’ est un samedi !….

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