L’ANNÉE OU LES CONSCIENCES ONT BOUGÉ

le 23 décembre 2010

Après s’être terminée sur l’échec du sommet sur le climat de Copenhague, l’année 2010 s’était ouverte par un tragique rappel de la force de la nature et sur l’incapacité des êtres humains à protéger leurs semblables quand la terre trembla si violemment à Haïti et brisa net la vie de 250 000 personnes, en jeta un million et demi d’autres dehors, sans abri. La nature, mariée, innocemment, pour quelques heures seulement, à la pauvreté, aux inégalités insoutenables et inacceptables produisait le pire alors que l’on connaît les moyens technologiques désormais à notre disposition et l’opulence dans laquelle on vit à quelques centaines de kilomètres de Port-au-Prince. Depuis, le couvercle mis sur cette tragédie ne s’est soulevé que par des bulles générées par une épidémie de choléra.

Cette année pour celles et ceux qui auront voulu y être attentifs aura d’ailleurs mis en lumière à la fois cette pauvreté et cette famine galopante. Lumière crue aussi sur le fait que la volonté des hommes à toujours vouloir dépasser le temps, cette sorte de « dictature de la vitesse », contraints par la sacrosainte loi du profit, a été plusieurs fois bousculée par notre « terre ».

Un volcan paralysant l’Europe durant plusieurs jours fit se demander comment c’était avant l’avion ? Des glissements de terre en Chine, des mineurs ensevelis au Chili, sortis de leur trou noir après des semaines d’angoisse. Tous ces phénomènes ne sont pas de même nature, n’ont pas les même origines, mais rappellent que le monde n’est pas qu’une «bulle de technologie », fabricant un monde virtuel.

L’année se termine avec une prise de conscience et des pas limités à la conférence de Cancun, après celle de Nagoya sur la biodiversité et la session du Comité de sécurité alimentaire de l’ONU qui aura alerté sur la progression de la famine et de la pauvreté.

Et ce mois de décembre, où l’on redécouvre qu’il peut neiger ! La réduction des dépenses publiques (RGPP) et le tout camion au lieu de développer le ferroutage peuvent tout bloquer. Quelle est la question ? La RGPP ou la neige ? De même, des gens meurent en prenant des médicaments, comme le Médiator. Encore le profit. La santé est un bien public. Les trusts pharmaceutiques doivent passer sous contrôle public. L’urgence sociale est mêlée à celle de l’urgence écologique. Y répondre appelle de ne pas tourner autour du pot. Le monde ne deviendra humanité qu’à la condition désormais de faire un saut qualitatif, d’inventer un nouveau système où les décisions seront prises d’abord pour les êtres humains et leur environnement, avec leur concours. La privatisation du monde mène à des impasses meurtrières. Il faut d’urgence que tous les biens communs de l’humanité soient mis en partage.

L’année 2010, qui aura été celle de l’explosion d’une crise totale touchant tous les aspects de la vie et des sociétés, aura bousculé les consciences et fait naître un débat ignoré depuis très longtemps avec des critiques, des idées, des réflexions jusqu’ici marginalisées, qui affleurent désormais partout. Parmi ces dernières, l’efficience du capitalisme est aujourd’hui contestée par des majorités. Le libre échangisme intégral et la liberté des capitaux se voient de plus en plus mis en doute. Le fait que l’argent qui s’amasse à un pôle de la société est mieux relié au développement insupportable des injustices. Les fables sur les dettes et le déficit, l’idée même que nos sociétés soient le paroxysme de la démocratie se fissurent davantage.

Regardons l’Italie de Berlusconi, voyons le sarkozysme, qui, de séquence sur l’identité nationale à une visite au Vatican, de diatribes et de chasse à l’homme à l’encontre des Roms à la surdité face à des millions de manifestants, prétend incarner l’ordre, alors qu’il n’est que celui d’une main de fer au service des marchés financiers.

Et cette Union européenne ! Le contraire de l’Europe nécessaire ! L’Union européenne du traité de Lisbonne que les dirigeants modifient dans un sens encore plus régressif pour contrôler les budgets des Etats et gaver les banques, lesquelles étouffent les dits Etats.

Et, en tout cas, ce qui a été appelé « l’affaire Bettencourt » aura accéléré ou confirmé des prises de conscience.
Primo la première fortune de France reçoit un chèque de réduction d’impôts. Deuxio, la consanguinité entre le monde de la fortune et le parti au pouvoir, dont le trésorier était aussi ministre du budget et l’épouse chargée de gérer les biens de cette plus grande fortune, tandis que le mari-ministre décorait l’employeur de la légion d’honneur. Plus fort qu’au cinéma! Petits arrangements de classe !

Au cœur de tous les événements sociaux, politiques, environnementaux, culturels, on retrouve comme un point commun qui les relie entre eux : celui de la crise globale multiforme du système capitaliste financiarisé et mondialisé.
L’année qui s’achève aura constitué une marche de plus, franchie dans l’aiguisement de cette crise. En même temps, elle aura provoqué des exaspérations populaires nouvelles, une conscience plus aigüe encore des injustices à l’œuvre et du même coup un affrontement de classes aux formes renouvelées.

Les contradictions s’aiguisent entre puissances capitalistes. De la Chine au Brésil, de l’Inde à l’Afrique du Sud et au Venezuela, des voies nouvelles se cherchent pour ne pas se laisser imposer le modèle décidé par l’impérium nord-américain que, malheureusement, les autorités européennes ont suivi. Elles ont cédé au lieu de produire des actes pour une nouvelle alliance des peuples permettant de s’émanciper de la domination de la finance, des diktats de l’Organisation mondiale du commerce, du Fonds monétaire international et de refuser de se soumettre aux injonctions de l’OTAN.

Certes, l’électeur américain qui a retiré le soutien qu’il avait accordé il y a deux ans à Obama, celui qui, à l’inverse, a confirmé son appui à Lula, comme les sept millions de personnes qui ont manifesté en France contre l’abrogation de la retraite à 60 ans, soutenues par 70% de la population, l’étudiant anglais, l’ouvrier grec, portugais, espagnol et le cadre irlandais à qui on a imposé le traité de Lisbonne, il y a seulement quelques mois, tous n’ont pas forcément conscience de cet affrontement de classe sur la scène mondiale. Chacun peut d’ailleurs se sentir isolé, impuissant face à la nouvelle oligarchie financière qui impose sa loi. Pourtant, à y regarder de près, émerge, peu ou prou, dans la mondialité, la conscience d’un « monde commun ». Le concept de « mère patrie » énoncé par Edgar Morin ou encore dans ce magnifique texte de Patrick Chamoiseau et Edouard Glissant, baptisé « Manifeste pour les biens de haute nécessité », annonce une révolution naissante de la pensée universelle. Quelle formidable base inédite pour mobiliser de nouvelles énergies créatrices diverses, au service de l’émancipation humaine !

Nous considérons qu’il est de notre responsabilité à l’Humanité Dimanche, à l’Humanité, personnellement, comme acteurs d’un Front de Gauche à élargir, de contribuer à relier tous les fils en apparence disparates qui montrent qu’une communauté d’espoirs des peuples, de leurs aspirations, de leurs luttes sociales et politiques, est non seulement possible, mais est absolument nécessaire face à la communauté, celle-là sans faille, des oligarques de la haute finance.
Contrairement à la droite et aux tenants de variantes “aménagées” et “humanisées” du capitalisme, nous ne considérons pas que les marchés financiers soient au dessus des peuples, au dessus de l’humanité. Nous considérons que l’argent n’est qu’un moyen d’échange et n’a donc qu’une valeur d’échange. En conséquence ce devrait être un bien public et non un outil de spéculation. Pour nous la valeur du travail est toujours l’unité de mesure de base car seul le travail crée de la richesse. Il sera donc toujours supérieur à la valeur de l’actionnaire.

Certes ici une partie de notre métier est de commenter, de décrypter, d’analyser l’actualité. Mais, notre grand rôle, notre utilité aujourd’hui est de contribuer à ce que nos concitoyens, avec vous et grâce à vous, lectrices et lecteurs, acquièrent une maîtrise de plus en plus grande de leur vie, de leur environnement, de leur devenir et de celui de l’humanité tout entière.

Cela nous oblige à regarder la réalité telle qu’elle est dans ses aspects contradictoires, en s’efforçant de dégager pour le plus grand nombre ce qui peut ouvrir les chemins neufs de la transformation progressiste de la société et du monde.

Le Front de gauche aura été l’un des événements politiques de ces deux dernières années. Il aura tenu sa place aux élections régionales, notamment en Limousin et en Auvergne, Europe Ecologie/ Les Verts aussi a modifié le paysage politique. Ils répondent sans doute chacun à leur manière à un besoin de renouveau de l’activité politique elle-même, de sens et de rassemblement. L’espace existant pour le développement du Front de gauche passe vraisemblablement, d’une part, par la nécessité d’affirmer clairement qu’il a l’ambition d’être au cœur de la gauche pour la faire gagner en l’ancrant prioritairement au cœur des attentes populaires. D’autre part, et indissociablement, en l’ouvrant en grand à la diversité du monde du travail et de la création.

L’amplification de « l’anti-sarkozysme » est un atout mais ne fait pas une politique alternative. Encore moins un projet, un processus de transformation sociale. Tel est le chantier à ouvrir d’urgence.
La béance des fractures sociales, territoriales, économiques, culturelles révélées en cette fin d’année y appellent pourtant sans retard.

L’image est d’une limpide et douloureuse clarté. En ce mois de décembre, nous apprenons d’un côté que les rémunérations des dirigeants des 40 plus grandes entreprises cotées en Bourse auront empoché près de 80 milliards d’euros en 2009 contre 76 en 2008. De l’autre, le salaire moyen a diminué de près de 1%. Et une étude de l’observatoire national des zones urbaines sensibles montre que près de la moitié des jeunes hommes et 37% de jeunes femmes, habitant dans les quartiers populaires sont emprisonnés dans le chômage. Ce cancer du chômage atteint désormais sans distinction les diplômés et non diplômés.

Il y a bien dans notre pays une vraie ségrégation. Cette crise sociale va de pair avec la crise démocratique confirmée aux élections municipales de Corbeil-Essonnes et de Noisy-Le-Sec. Mais, n’est-ce-pas l’objectif des puissances qui nous gouvernent de pouvoir le faire avec l’abstention. C’est-à-dire une « neutralité contestatrice » de celles et ceux qui auraient le plus intérêt au changement. Soyons justes et lucides. Cette massive abstention est aussi une interpellation aux forces de gauche, particulièrement celles qui se donnent l’objectif de transformer les choses. Sont-elles assez proches de ces populations ? Travaillent-elles avec elles ? Elaborent-elles vraiment avec elles des solutions considérées comme crédibles, améliorant leur vie ? Bref, notre capacité d’indignation et de révolte sont-elles à la hauteur de la “non-vie” qui leur est faite ? Prenons garde car dans toute l’Europe germe au cœur de la crise les ferments pourris d’une droite extrême, xénophobe, raciste, haineuse, nationaliste, diviseuse, fascisante.

Ceux qui en France ont décidé d’organiser le débat public à l’intérieur du Front National en promotionnant Mme Le Pen porteront une lourde responsabilité. Toute cette coterie politique et médiatique qui élimine depuis des mois l’expression communiste et progressiste des antennes a promotionné une personne qu’elle a baptisé « Marine », alors qu’elle s’appelle Le Pen. La haine, la xénophobie, le racisme, ne sont pas des opinions mais un poison à combattre par tous les républicains. On détruit la démocratie et la République à ainsi organiser l’élection présidentielle dans le choix entre deux candidats, en plaçant au milieu d’un champ de ruines l’épouvantail de la fille de son père. Pourquoi là encore faire mine de le découvrir ? Le Pen a été présent au second tour de l’élection présidentielle de 2002 et le Front extrémiste national a réalisé 17% là ou il était présent aux élections régionales. Terrible vérité ! Mais c’est la vérité !

Il y a une « occupation » dont l’extrême droite ne parle pas, c’est celle que la direction israélienne impose au peuple palestinien. Une nouvelle fois, il a été fait semblant de reprendre des négociations de paix pour qu’au bout du compte l’administration américaine donne carte blanche aux autorités israéliennes pour poursuivre « l’occupation-colonisation ».

Trois jours après cette annonce, vingt-sept hauts responsables européens ont adressé une longue lettre de sept pages très intéressante au Conseil européen, préconisant de fixer la date limite d’avril 2011 pour reconnaître l’état palestinien. Le Conseil européen de la semaine dernière a publié une déclaration, écartant l’idée de toute pression sur Israël, et rappelant une phrase essentielle, scandaleuse, où il dit qu’il reconnaîtra la Palestine « lorsque ce sera approprié ». Voilà la triste réalité de la pensée et de l’action de nos dirigeants européens. Pourtant, je peux personnellement témoigner, pour en revenir, à quel point la population, les associations, de nombreux responsables politiques à Gaza, comme en Cisjordanie souhaitent une Europe active. A nous de la faire entendre !

Enfin, je ne peux terminer sans une pensée pour Salah Hamouri, toujours retenu dans les prisons israéliennes, une pensée aussi pour nos confrères Hervé Ghésquière et Stéphane Taponier et leurs accompagnateurs, eux aussi prisonniers de la barbarie et de l’appât du gain de quelques mafieux talibans.

Marqué par ce puissant mouvement social en France, le réveil des peuples européens contre cet eurocapitalisme destructeur, l’émergence de nouvelles forces dans le monde, nous ne devrions avoir qu’une boussole, un cap, un souci : être utiles à défricher avec nos concitoyens, avec la gauche et les progressistes, le chemin encore vierge, ouvrant la voie pour vivre mieux et pour changer vraiment à gauche. Cultivons le projet de la liberté et du bonheur.


0 commentaires


Canelle 23 décembre 2010 à 18 h 57 min

Merci Monsieur Le Hyaric.

J’espère que ce Noël rassemblera beaucoup de gens, non dans un mouvement “financier” mais dans un mouvement d’humanité.

Je vous souhaite de passer un merveilleux Noël, parmi les vôtres, et qu’amour et bonheur explosent.

Une joyeuse fête de Noël également à tous ceux qui sont loin des leurs et une pensée profonde à tous ceux qui sont seuls, malades, sans-abris, dépourvus……que le Père Noël, auquel je ne crois plus, pense un peu à eux.

pierre-andré ouellet 31 décembre 2010 à 4 h 35 min

Bonjour de montréal!félicitation pour votre article,très intéressant et réaliste.Je vous invite vous et vos visiteurs à visionner un vidéo sur youtube qui m’as instruit sur la variation dans le temps des économies.
http://www.youtube.com/watch?v=j7M-7LkvcVw&feature=related
Bonne année 2011 à vous et votre famille.

Tortilla 5 janvier 2011 à 17 h 23 min

Bonjour,

Il me semble qu’il y a une confusion entre rémunération des actionnaires et rémunération des dirigeants (les 80 milliards)
Bien cordialement,

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